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Côte d’Azur, l’invention d’un mythe

Même si son désamour européen ne cesse de heurter, force est de reconnaître que la Grande-Bretagne est à l’origine de l’invention de la station balnéaire, motrice d’un intérêt soutenu pour le Sud. Un élan formalisé courant XIXe siècle par la construction de demeures privées et de palaces. Ouvertement fastueux ou discrètement luxueux, ces lieux accueillirent gotha, artistes et intelligentsia. Tour d’horizon en huit étapes, ouvertes à la visite.



Longtemps, la Riviera ne s’est envisagée que les mois en “r”. Les bienheureux y prenaient alors leurs quartiers d’hiver avec force domesticité, pour y humer le bon vent marin, sans jamais – toutefois – songer à se baigner. Trop vulgaire. Puis, avril sonné, redoutant la survenue de températures “sénégaliennes”, les troupes se remettaient en ordre de marche vers de septentrionales destinations. Tout ce beau monde avait été précédé – dès le milieu du XVIIIe siècle – par les membres de la couronne d’Angleterre qui, délaissant un temps les villes thermales pionnières telle Bath, puis les stations maritimes comme Brighton, offraient par leur présence à Hyères, Nice et les environs, un patronage de choix. A ce premier tourisme d’ordre médical, égayé cependant par l’édification de casinos, succède peu à peu une dimension purement mondaine. Car en cette deuxième moitié du XIXe siècle, l’essor des voies ferrées rend les stations balnéaires plus faciles d’accès, en premier lieu celles de la côte normande. Au grand dam d’aucuns. Alphonse Karr, directeur du Figaro, choisit ainsi d’abandonner sa villégiature d’Etretat, désormais trop accessible depuis Paris et ses wagons de vacanciers, pour prendre la route du Sud, où il s’établit à Saint-Raphaël, dans le Var, en accorte commerce de ses distingués visiteurs britanniques et russes.



Mais dès 1864, le chemin de fer atteint Nice, il ne faut plus comme par le passé, compter quatre jours de transport exténuant pour gagner le Sud au départ de la capitale. A ces avancées techniques s’ajoute la création, en 1887, par le Britannique Stephen Liegeard, d’une formule au succès durable pour désigner ce bord de mer méridional : “Côte d’Azur”. Pour autant, le soleil n’est toujours pas considéré comme “fréquentable” par la High Society : afficher une carnation diaphane constitue pour les femmes d’un certain rang un pilier indémontable… jusqu’à l’arrivée des gens de lettres, inventeurs de la Méditerranée en été.


En 1921, lors d’un séjour à Carqueiranne avec Raymond Radiguet, Cocteau qualifie le soleil d’“opium des gens sains”. Un an plus tard, Cole Porter loue une villa à Antibes où il reçoit les Murphy, un jeune couple d’Américains, collaborateurs à la réalisation de décors pour les Ballets russes. Installé à l’hôtel du Cap, le duo parvient à convaincre le propriétaire de laisser son établissement ouvert l’été, à rebours des pratiques de l’époque. La révolution est en marche ! Le jeune couple entraînant dans son sillage une foule d’amis et de relations rich and famous, ou sur le point de le devenir : Man Ray, Ernest Hemingway, Gertrude Stein, John Dos Passos… Picasso, lui, est venu en compagnie de sa mère, et dessine sans relâche des portraits de la gracieuse Mrs Murphy, laquelle aurait chaviré quelque temps dans les bras de l’ombrageux Catalan. La mode pyjama défile sans retenue sur la Promenade des Anglais, quand les parasols rayés deviennent légion sur les plages… face à des autochtones stupéfaits. Aristocrates joueurs et valétudinaires en rémission ont cédé le pas à un aréopage de belles et brillantes figures internationales, pour lesquelles rien n’est jamais too much. En 1924 les Fitzgerald entrent dans la danse, débutant leur virée par Hyères, dans l’espoir d’y débusquer Edith Wharton, établie dans un ancien couvent. Mais la romancière, suivant la migration old school, a pris la direction du Nord dès les premières chaleurs.


Il n’empêche, la présence active de ces personnalités contribue à forger l’image d’un terroir des avant-gardes. Durant cet âge d’or, les désirs créatifs d’une clientèle fortunée renouent avec les us et coutumes des grands commanditaires du passé. Au mitan des années 1920, Marie-Laure et Charles de Noailles font édifier à Hyères une villa dessinée par Mallet-Stevens dont ils confient l’ameublement à Pierre Chareau. Leur projet ? “une maison infiniment pratique et simple, où chaque chose serait combinée du seul point de vue de l’utilité”. Vœu de sobriété bouleversée, toutefois, par les aménagements successifs opérés par les propriétaires – annexe, piscine, gymnase, terrain de squash... – a contrario des recommandations de l’architecte. Qu’importe, le couple d’esthètes y accueille Man Ray pour le tournage de Mystères du château de dé, Buñuel y pense L’Age d’or, Cocteau, Bérard, Giacometti, Brancusi... y mûrissent leurs réflexions. On peut considérer que cette aspiration à la beauté créative perdure à la Villa Noailles via les prix (mode et photo) décernés depuis 1997, et les résidences d’artistes. Sérieux incubateur des imaginaires que cette Riviera : Somerset Maugham est au Cap-Ferrat, Chanel à Roquebrune, Colette à Saint-Tropez… Aldous Huxley se trouve à Sanary où il compose Le meilleur des mondes, le milliardaire Frank Jay Gould vient d’“inventer” Juan-les-Pins…



L’après-guerre amorce un regain de désir créatif... Au Cap-Ferrat, Francine Weisweller – belle-soeur de Jacqueline de Rothshchild – a acquis une villa qu’elle ouvre à ses amis. A l’occasion du tournage des Enfants Terribles (1949), Cocteau, par l’entremise d’une des actrices (Nicole de Rothschild) fait la connaissance de la maîtresse des lieux. Immédiat coup de foudre amical. Lors d’un séjour, Cocteau s’enquiert auprès de son hôte de la possibilité de réaliser un dessin au fusain au-dessus de la cheminée. “L’oisiveté me fatigue”, plaide-t-il : permission accordée. Peu à peu, l’enchantement de Madame face au résultat incite le futur académicien à recouvrir la totalité des murs immaculés, de dessins au fusain rehaussés de couleurs. La Villa tatouée était née... Murs, plafonds et deux mosaïques témoignent de l’hyperactivité du réalisateur de La Belle et la Bête. En voisins, Francis Poulenc, Greta Garbo, Marlene Dietrich, Jean Marais, Pablo et Jacqueline Picasso... découvrent la patte du maître. Durant ces années-là, Picasso fera l’acquisition de la Villa La Californie, bâtie en 1920 sur les hauteurs de Cannes. Mais en 1961, soit six ans après son installation, une nouvelle construction obstruant la vue sur la mer, il quitte la villa pour Mougins. Légataire en 1980 de la demeure, et d’une lourde histoire familiale, sa petite-fille Marina Picasso, entreprend tout d’abord de gommer toute trace de la présence de son grand-père en la renommant Pavillon de Flore, avant de la mettre sur le marché en 2015.

A quelques encablures de là, Saint-Paul de Vence, Aimé Maeght – marchand d’art et galeriste parisien – songe à ouvrir une Fondation privée destinée à montrer les artistes qu’avec son épouse, Marguerite, ils n’ont cessé – durant des décennies – de découvrir et de soutenir. En juillet 1964 est inauguré un bâtiment inédit, inscrit sans fausse note aucune dans la nature, sur une architecture de Josep Lluís Sert, ami de Joan Miro. Evoluant auprès des artistes – Francis Picabia, Salvador Dali, Jean Arp... –, Sert travaille étroitement auprès du Corbusier, dont il admire la modernité et le sens esthétique. Un jardin de sculptures (Pol Bury, Calder, Paul Ubac..), un bassin orné de mosaïques de Georges Braque, une cour centrale habitée d’œuvres de Giacometti et plus de 150 expositions après... la magie du lieu opère toujours avec la même vivacité.



La période post-hippie plantera quelques fleurons épars, dont le plus éloquent est le Palais-Bulles (Théoule-sur-Mer). Dessiné par Antti Lovag pour l’entrepreneur Pierre Bernard, il est édifié de 1975 à 1991. Autodéclaré “habitologue”, l’architecte hongrois se passionne pour les maisons “bulles”. Sa première réalisation, la Maison Gaudet, à Tourrettes-sur-Loup, émergeait de terre en 1968, l’année-même de la sortie de 2001 Odyssée de l’Espace. Condensé du style des années 1970, le Palais-Bulles composé d’une myriade de sphères convoque les matériaux alors en vogue (plastiques, mousses) autour de formes circulaires évoquant l’imagier de la conquête spatiale. Acquis en 1992 par Pierre Cardin, il entre alors dans la légende des nuits aussi belles que les jours... Fêtes où le tout mode, show biz... se retrouve à l’envi, notamment autour du théâtre à ciel ouvert ajouté par Cardin. Si aujourd’hui le Palais n’est plus demeure privée mais lieu de réceptions et d’événements – Dior y organise son défilé en 2015 –, son classement au patrimoine des monuments historiques (1999) devrait lui épargner toute incurie.



Depuis son acmé, la fièvre entrepreunario-architecturale connaîtrait-elle une baisse de régime ? Pas s’y l’on en croit certaines initiatives orchestrées à l’intérieur des terres. La preuve par quatre. La Bernar Venet Foundation, ouverte en 2014 par le plus Américain des artistes français. Etabli à New York dès le début des années 1960, il côtoie toute la scène des conceptuels et minimalistes, avec laquelle il se lie. Au fil des années, il constitue une collection d’envergure (Donald Judd, Richard Serra, Sol LeWitt, François Morellet, Robert Morris, Carl Andre...). Enfant du pays de Provence, le sculpteur (lauréat du Prix Montblanc de la Culture 2017 en France) acquiert (1989) le Muy et son moulin XVIIIe siècle sis près d’un barrage naturel, qu’il réhabilite en demeure. A partir de 2014, il ouvre un parc de sculptures contemporaines présentant ses propres œuvres et des œuvres de sa collection, s’amplifiant régulièrement (chapelle réalisée par Frank Stella et, à l’été 2017, pièces de Richard Long, Gottfried Honegger et Anselm Kieffer). Dispositif auquel s’ajoute chaque été une exposition (jusqu’au 15 septembre, Fred Sandback, “Pedestrian Space”).



Non loin, le Domaine du Muy a fait l’objet d’un vaste projet mené par Jean-Gabriel Mitterand. Le galeriste parisien y possède une villa récente de style provençal confiée aux bons soins d’India Mahdavi, qui en a recouvert la façade de couleur argent, et autour de laquelle s’épanouit un jardin, conçu par Louis Benech. Alentour de cet espace privé, un vaste parc accueille des œuvres d’art moderne et contemporain. Une promenade de santé de deux kilomètres, où s’égrènent une trentaine d’œuvres, changeant au gré des expositions (John Armleder, Atelier Van Lieshout, Carlos Cruz-Diez, Mounir Fatmi, Antony Gormley, Mark Handforth, Carsten Höller, Xavier Veilhan...).



Dans ce même périmètre, le Château La Coste – propriété viticole établie sur un domaine de 200 ha – a été acquis par un entrepreneur irlandais issu du monde de l’hôtellerie. Son projet ? Essaimer des œuvres d’art contemporain – principalement de commande – et des pièces d’architecture sur un parcours entre bois, collines, vignes, et champs d’olivier. Le maître des lieux offrant à chacune des personnalités sollicitées le choix du lieu d’implantation de la réalisation. Ainsi, de la Cuverie de Jean Nouvel au Music Pavilion de Frank Ghery, en passant par le Centre d’art de Tadao Ando, le Centre d’expositions tremporaires par Jean-Michel Wilmotte, ou le tout récent Pavillon de photographie signé Renzo Piano (mai 2017), c’est un passionant hommage aux lignes, qui devrait se poursuire avec un pavillon de dessins de Richard Rogers, un chai à barriques de Jean Nouvel et un auditorium d’Oscar Niemeyer. Clin d’œil à l’histoire, deux maisons latérales signées Jean prouvé, datant de 1945, ont été restaurées et remontées à proximité du potager pour abriter des collections de livres (art, architecture, design, gastronomie, vin). Le travail de commande à des artistes comme révélateur d’architecture ? Le château de Fabrègues, bâti au XVIIe siècle, n’était que quasi ruines, lorsque l’architecte d’intérieur Pierre Yovanovitch en fait l’acquisition en 2009. Près de cinq ans de travaux assidus lui redonnent lustre et prestance. De même qu’ils permettront au parc de s’exprimer. Aujourd’hui, Yovanovitch en a fait son havre de repos et de réflexion. Désireux d’intégrer la création contemporaine, qu’il côtoie étroitement dans le cadre de projets pour ses clients, il a confié à l’artiste Claire Tabouret la réalisation d’une fresque dans la chapelle attenante à l’édifice. Désir de partage ? Le lieu est exceptionnellement ouvert à la visite (sur rendez-vous) depuis son inauguration, le 1er juillet, jusqu’en septembre. Villa Noailles, Montée de Noailles, 83400 Hyères, villanoailles-hyeres.com Villa Santo Sospir, 14, avenue Jean Cocteau, 06230 Saint-Jean-Cap-Ferrat, villasantosospir.fr Fondation Maeght, 623, chemin des Gardettes, 06570 Saint-Paul-de-Vence, fondation-maeght.com Palais Bulles, 33, boulevard de l’Estérel, 06590 Théoule-sur-Mer, http://palaisbulles.com Bernar Venet Foundation, 365 Chemin du Moulin des Serres, 83490 Le Muy, venetfoundation.org Domaine du Muy, 83 Chemin des Leonards, 83490 Le Muy, domainedumuy.com Château La Coste, 2750, Route de la Cride, 13610 Le Puy Ste Réparade, http://chateau-la-coste.com Chapelle et château de Fabrègues, visites sur rendez-vous durant l’été, chapelle@chateaudefabregues.com

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